Les émotions : des guides indispensables

Les émotions : des guides indispensables

Table des matières

Les émotions sont présentes dans nos vies à tous·tes et ce, jusqu’à notre mort. On les ressent chez soi et on les perçoit chez les autres. Les émotions nous meuvent, nous informent, nous aident à choisir et à apprendre. Cependant, elles peuvent aussi entraîner beaucoup de souffrance lorsqu’elles proviennent d’un passé non résolu.

Maryse Damecour est étudiante au doctorat en psychologie à l’UQÀM. Dans ses articles pour le blogue de Meetual, elle nous fait profiter de ses nombreuses lectures pour comprendre le fonctionnement psychologique de l’être humain. Maryse Damecour anime aussi le podcast “Comprendre l’humain avec un doc en psycho”.

À quoi réfère-t-on lorsqu’on parle d’émotions ?

Il n’y a pas de consensus à ce sujet dans le milieu de la science (Izard, 2010). Cependant, plusieurs experts s’entendent pour dire que les émotions témoignent de notre état corporel et nous influencent dans notre manière d’agir et de percevoir. Les émotions sont de courtes durées (60 à 90 secondes) si on ne les alimente pas entre autres avec des pensées. Telle une vague qui nous envahit et redescend, les émotions viennent et repartent naturellement.

Les messagères du corps

Les émotions sont visibles dans le cerveau. Elles empruntent des circuits neuronaux qui représentent notre état physique (Izard, 2010). En d’autres termes, les émotions sont le moyen mental que nous avons pour comprendre ce que le corps nous dit (Greenberg, 2015). Prenons un exemple afin d’illustrer ceci. Une personne perçoit un ours. Son coeur accélère et son énergie est dirigée vers ses jambes afin de fuir. C’est à partir de ces sensations physiques que le cerveau « comprend » qu’il y a un danger et la personne ressent de la peur. Si le corps ne réagit pas, il n’y a pas d’émotion.

Des tendances à l’action

De plus, les émotions nous influencent dans notre manière de réagir face à ce que nous vivons (Fredrickson, 2000; Izard, 2010). Les émotions sont reliées et influencent plusieurs dimensions de notre expérience : notre état physique (rythme cardiaque, sudation, respiration, hormones, etc.); les pensées et interprétations qu’on se fait d’une situation; et nos comportements.

À titre d’exemple, la peur entraîne souvent une accélération du rythme cardiaque, un repli sur soi et une vision de l’environnement en tunnel focalisée sur le danger. Lorsqu’une personne a peur, elle n’entend plus le chant des oiseaux ni ne voit la beauté du paysage. Sa vision est concentrée sur la menace (un ours, un reproche, etc.). Elle aura tendance à fuir ou à figer. Chaque émotion prépare la personne à agir d’une manière différente. Entre autres, la colère crée une tendance à la confrontation, la tristesse invite un mouvement vers l’introspection et la curiosité entraîne de l’ouverture vers le monde.

L’évaluation individu-environnement

Les émotions proviendraient d’une évaluation plus ou moins consciente de ce que Lazarus appelle la relation individu-environnement (Fredrickson, 2000). Est-ce que je suis en sécurité ? Est-ce que la situation est favorable à mes objectifs, désirs, besoins, valeurs ? Par exemple, une personne perdue en forêt et ayant faim qui constate qu’elle n’a pas accès à de la nourriture pourrait ressentir de la peur. En voyant les secours arriver, sa peur disparaîtra. Pourtant, la faim est toujours présente, mais son rapport à l’environnement a changé. Cette évaluation est aussi teintée des capacités, expériences et croyances portées par la personne. Si cette même personne connaît les principes de la survie en forêt, il est possible que la sensation de faim ne déclenche pas de peur chez elle, mais plutôt une décharge d’énergie pour se mettre en action.

Des boussoles indispensables

En somme, les émotions sont des tendances à l’action basées sur des évaluations du rapport individu-environnement et ancrées dans le corps. Elles sont nécessaires pour nous adapter aux circonstances de vie. Sans émotion, nous serions léthargiques. Certaines personnes pourraient penser que les émotions sont nuisibles et qu’il est préférable de « garder la tête froide » pour agir.

Selon le psychologue Les Greenberg, les émotions sont des signaux précieux et nous gagnons à les écouter (Greenberg, 2015).

Fonctions des émotions selon Les Greenberg

  • Informent sur la relation avec l’environnement
  • Informent sur la relation avec l’autre
  • Signalent aux autres l’état interne
  • Préparent à l’action
  • Aident à évaluer si les choses vont dans une direction désirée
  • Jouent un rôle clé dans l’apprentissage

Selon l’auteur, les émotions aident à comprendre l’état de notre relation à l’environnement. Les émotions ressenties risquent d’être différentes si une personne se retrouve devant un feu de foyer ou sur le bord d’une falaise abrupte.

Deb Dana, psychologue spécialisée dans le traitement des traumas, souligne l’importance de prendre soin de son environnement physique. Les plantes, la lumière douce, les sons agréables et prévisibles sont autant de signaux apaisants qui contribuent à créer un état favorable aux émotions positives (2018).

Les émotions fournissent aussi de l’information sur l’état de notre relation avec les autres. Si une personne ressent de la tristesse, il est possible qu’elle ait perdu ou craigne de perdre l’être aimé. La colère peut signaler une perception d’inégalité ou encore la frustration de certains besoins au sein de la relation. La détente et la joie suggèrent, au contraire, que plusieurs besoins sont nourris à travers ce lien.

Ici, il importe de rappeler que les émotions sont basées sur des perceptions subjectives et donc sont sujettes à l’erreur. Si une personne ressent de la jalousie, cela ne signifie pas que son·sa conjoint·e l’ait trompé. Cependant, cela indique qu’il y a un inconfort qui mérite qu’on s’y attarde.

Troisièmement, les émotions contribuent à communiquer notre état aux autres. Contrairement aux pensées qui sont imperceptibles pour les autres, les émotions transparaissent. Les larmes qui montent aux yeux, le visage qui se contracte ou qui s’ouvre, les sourires, l’inclinaison de la tête sont autant de signaux qui aident les autres à nous lire et à interagir avec nous.

Les émotions créent aussi l’état interne propice à certains types d’actions. Les émotions négatives réduisent l’éventail des comportements qu’on peut adopter. Comme expliqué plus haut, la peur ou la colère entraînent souvent une vision en tunnel focalisée sur la menace. Les comportements qui en découlent sont souvent la fuite, l’attaque ou l’immobilisation. Au contraire, les émotions positives élargiraient les comportements possibles. Selon la théorie élargir et construire de Barbara Fredrickson, les émotions positives permettraient d’accéder à la créativité, de repousser les limites, de jouer, d’explorer, d’acquérir de nouvelles informations, de revisiter notre vision de soi, des autres et de notre avenir (2000). En somme, les émotions positives et négatives contribuent à préparer une personne aux types d’actions appropriées selon la situation.

Les émotions aident aussi à évaluer l’écart entre les désirs, objectifs, valeurs d’une personne et sa perception des circonstances actuelles. Si un individu souhaite se rapprocher intimement d’une autre personne et que celle-ci ne retourne pas ses messages texte, des émotions (ex. déception, irritation) signaleront que « les choses ne vont pas dans le sens désiré ». Parfois, une émotion nous aide à nous rappeler que nous nous éloignons d’une valeur personnelle.

Imaginons un homme qui se chicane avec son·sa conjoint·e au sujet de la division des tâches ménagères. Il ressent de la colère et défend son besoin d’équité. Le ton monte et les deux partenaires échangent des phrases blessantes. L’homme ressent alors de la tristesse. En y portant bien attention, il comprend
l’origine de cette émotion : il y a un écart entre la qualité de l’échange et l’amour qu’il porte à l’autre. Être attentif aux significations des émotions permet donc d’ajuster son comportement. L’homme pourra alors exprimer ses désirs avec plus de nuances : « Je ne veux pas qu’on se chicane comme ça, car je t’aime et je veux prendre soin de notre lien. En même temps, je suis fatigué des tâches ménagères… ».

Finalement, les émotions facilitent l’apprentissage. Les émotions négatives intenses permettraient même les apprentissages en un essai (Greenberg, 2015). Cela signifie qu’une personne n’a pas besoin de toucher deux fois à un feu pour apprendre que c’est dangereux. Le cerveau classerait l’information associée à une émotion négative intense dans un dossier « à ne jamais oublier ». Les émotions positives seraient aussi impliquées dans l’apprentissage. Comme Fredrickson l’explique, elles créent l’état d’esprit d’ouverture et de motivation nécessaire à intégrer de nouvelles informations (2000). Pour apprendre, il est essentiel que les émotions soient impliquées. Lorsqu’une information ne stimule aucune réaction, elle ne peut être retenue.

Intégration du corps et de la tête

En somme, les émotions recueillent plusieurs informations de manière plus ou moins consciente et nous informent sur l’état de notre bien-être. Ainsi, elles aident à créer ce qu’on appelle l’intuition et facilitent la prise de décision. Greenberg relate l’histoire d’un homme ayant subi des dommages dans les zones du cerveau associées aux émotions (2015).

Lors d’une prise de rendez-vous, l’homme était incapable de choisir entre le mardi ou le jeudi. Pourtant, ses facultés de raisonnement étaient intactes. Cela s’explique par le rôle primordial des émotions dans la prise de décision. Les émotions offrent une sensation globale de « oui, c’est ça » ou de « non, ne va pas là ». Ce faisant, elles réduisent considérablement les options possibles et, ainsi, nous permettent de faire des choix plus rapidement sans considérer toutes les options. Sans cette intuition, l’homme ne pouvait, par la simple logique, choisir la journée du rendez-vous. Inversement, si nous nous basions uniquement sur nos émotions pour agir, nous serions semblables à des automates.

La capacité de réflexion permet de ne pas agir directement sur le coup de l’émotion. Idéalement, les émotions devraient agir à titre de consultants. Nous entendons leur point de vue, mais gardons la liberté de ne pas agir conformément à leur suggestion. Greengerg affirme qu’une combinaison des émotions et de la réflexion, du corps et de la tête, serait optimale pour diriger nos vies en cohérence avec nos buts et valeurs.

L’envers de la médaille

Les émotions peuvent aussi nous nuire. En effet, ces guides précieuses peuvent se tromper dans l’évaluation de la relation individu-environnement. Cela provient de notre capacité à apprendre à partir des émotions. Il est donc possible de faire de « faux » apprentissages qui proviennent souvent d’émotions négatives intenses qui sont survenues dans le passé.

Pensons à une personne ayant vécu un vol à main armée il y a quelques années. Il est possible que lorsqu’elle se retrouve dans une banque, elle éprouve, sans raison, de la peur. Cette peur n’est pas adaptée à la situation qui est tout à fait sécuritaire. Cependant, son cerveau a associé l’espace de la banque à la peur intense ressentie lors de l’événement traumatique. La personne aura peut-être tendance à éviter toutes les banques, ce qui réduit sa liberté d’action.

Une autre personne ayant vécu de l’intimidation à l’école pourrait avoir associé la critique à la honte et au désespoir. Plusieurs années plus tard, cette personne pourrait réagir avec détresse lorsqu’un·e ami·e lui fait une remarque sur son habillement. Plus l’émotion négative est arrivée tôt dans la vie de la personne, plus elle a été intense et répétée, plus elle est ancrée dans la personne.

Cependant, ces apprentissages émotionnels sont malléables et peuvent se transformer. Il nous est possible d’apprendre des réactions émotionnelles. Un apprentissage erroné peut être transformé. À titre d’exemple, une mère éprouve de la colère dirigée envers son enfant de 2 ans qui refuse de s’habiller. Cette émotion n’est pas adaptée : l’agressivité envers l’enfant n’aidera pas à améliorer la situation et risque même de l’empirer. La mère peut choisir de s’offrir de l’autocompassion pendant 30 secondes avant de poursuivre l’interaction avec l’enfant. Elle place sa main sur son coeur et se dit intérieurement avec compassion « oui, c’est difficile en ce moment ». Au fil du temps, la mère apprendra un nouveau patron émotionnel plus adapté. Lorsque l’enfant refusera de coopérer, au lieu de ressentir une colère qui prépare à l’agressivité, la mère ressentira de l’autocompassion qui l’invite à un mouvement de douceur vers l’intérieur. Ce faisant, la nouvelle émotion apprise contribuera à créer du calme et de l’ouverture pour mieux agir avec l’enfant.

Accueillir les émotions

Les émotions nous guident à partir de notre histoire émotionnelle. Elles sont infusées de nos valeurs, désirs et besoins, mais aussi de nos blessures du passé. Afin de profiter de leur sagesse, il importe de les accueillir avec empathie et de les écouter. De plus, nous pouvons créer de nouveaux apprentissages émotionnels en combinant les émotions erronées à des émotions positives compatibles telles que la compassion et l’amour.

Personnellement, j’aime penser à ces émotions provenant du passé comme de petits enfants tristes, apeurés ou en colère qui ont besoin d’une mère ou d’un père aimant·e. Parfois, nous sommes capables de nous offrir nous-mêmes cet espace d’accueil. Cependant, il arrive souvent que nous ayons d’abord besoin d’accompagnement dans
cette démarche.

Références

Dana, D. A. (2018). The Polyvagal theory in therapy : Engaging the rhythm of regulation (WW Norton&Company).

Fredrickson, B. L. (2000). Why positive emotions matter in organizations : Lessons from the broaden-and-build model. The Psychologist-Manager Journal, 4(2), 131‑142.
https://doi.org/10.1037/h0095887

Greenberg, L. S. (2015). Emotion-focused therapy : Coaching clients to work through their feelings, 2nd ed. American Psychological Association.
https://doi.org/10.1037/14692-000

Izard, C. E. (2010). The Many Meanings/Aspects of Emotion : Definitions, Functions, Activation, and Regulation. Emotion Review, 2(4), 363‑370.
https://doi.org/10.1177/1754073910374661

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Maryse Damecour
Je m’appelle Maryse Damecour, étudiante au doctorat en psychologie à l’Université du Québec à Montréal. Cela signifie que je passe 25 heures par semaine à lire et à comprendre le fonctionnement de l’humain. J’ai eu envie que ce temps investi soit bénéfique à un plus grand nombre de personnes.

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