Devant les difficultés de la vie, nous ne sommes pas égaux. Certaines personnes les traversent sans sourciller tandis que d’autres peinent à s’en sortir. Les travaux du neuropsychiatre Boris Cyrulnik nous aident à comprendre que lorsqu’une personne tombe où d’autres avancent sans difficulté, elle n’est pas à blâmer.
Dans ce texte, nous verrons comment, dès la vie intra-utérine et jusqu’à l’âge adulte, plusieurs éléments stimulent ou entravent notre résilience.
La résilience
La définition de la résilience proposée par Cyrulnik provient des domaines de l’agronomie et de la géographie (Jaeglé, 2019). On dit d’un sol qu’il est résilient lorsque, après une inondation ou un incendie, il recommence à vivre. La faune et la flore seront différentes qu’avant de désastre, mais la vie reprend. Sur le plan humain, la résilience advient lorsque la personne poursuit un développement différent après une épreuve.
Prenons l’exemple de deux personnes qui perdent un être cher dans un accident de la route. Au bout de quelques mois, la première reprend graduellement goût à la vie, tout en pleurant sa peine. La seconde ressasse les événements continuellement dans sa tête et peine à remplir ses tâches quotidiennes. Les vies des deux personnes sont changées à jamais. Cependant, le parcours de la première continue de se déployer, comme la plante qui pousse à travers l’asphalte.
D’où vient la résilience ?
Selon Cyrulnik (2021), un ensemble de facteurs explique la réaction plus ou moins résiliente d’un individu. Ces facteurs incluent bien entendu des composantes génétiques.
À titre d’exemple, 15 % de la population aurait moins de sérotonine ce qui les rendrait plus sujets à réagir fortement. Ces personnes pleurent plus facilement devant un échec, une bonne nouvelle ou un film. Elles « souffrent » davantage lorsqu’elles rencontrent des difficultés, mais auraient aussi plus de facilité à chercher et à utiliser l’aide qui leur est offerte.
L’histoire développementale
Cependant, le bagage génétique n’est qu’une infime composante de l’expérience humaine (Cyrulnik, 2021). Où est née la personne ? Est-ce que sa mère était dépressive pendant la grossesse et les premières années de vie ? Est-ce que l’enfant a vécu de la précarité ? Y a-t-il eu de la négligence ou de la maltraitance ? Depuis le ventre de la mère, l’histoire d’une personne altère son chemin.
Niche aquatique : dans le ventre de la mère
L’expérience intra-utérine influence le développement du fœtus. Déjà, un lien se développe. Lorsque la mère parle, les ondes de sa voix sont propagées dans le liquide amniotique et touchent le fœtus, comme les premières caresses d’une mère à son enfant.
Idéalement, la mère est détendue et reçoit du soutien de son entourage. Si elle est stressée pour diverses raisons (difficultés financières, climat conjugal difficile, etc.), la mère sécrète des hormones liées au stress (cortisol, adrénaline, etc.). Ces hormones se retrouvent dans le liquide amniotique que boit le fœtus et elles entravent le développement de son cerveau. Entre autres, on sait qu’elles retardent l’activation du lobe temporal gauche qui deviendra plus tard la zone du langage (Cyrulnik, 2021).
Niche sensorielle : l’univers de l’enfant
L’enfant arrive ensuite au monde dans un univers sensoriel et affectif que Cyrulnik (2021) appelle la niche sensorielle. Pour favoriser le développement du tout petit, cette niche doit être sécurisante. L’enfant est soigné, touché, cajolé, on lui parle, on le regarde on lui sourit … Cependant, les parents vivant des situations précaires sont souvent moins capables d’offrir cette niche sécurisante dont l’enfant a besoin. De plus, un enfant dans une niche sensorielle tendue deviendra stressé. Il dégagera alors les hormones liées au stress qui entraveront davantage son développement, notamment au niveau du langage tel qu’expliqué ci-dessus. De plus, ces hormones affectent la qualité du sommeil en diminuant la présence des ondes lentes qui sont essentielles à un bon repos. De plus, les ondes lentes sont responsables d’activer une région du cerveau qui stimule la sécrétion des hormones de croissance et sexuelles. Le stress peut donc entraîner de la fatigue, un retard de croissance ou de langage.
Tous ces éléments influencent les capacités que la personne aura développées une fois rendue adulte. Un retard de langage peut nuire au parcours scolaire et à l’estime de soi. Il est difficile pour un enfant figé par la peur d’acquérir des aptitudes sociales. Fatigué par un sommeil non réparateur, un enfant aura plus de difficultés à apprendre à lire, à compter, à chercher de l’aide, à patienter, etc. Ces retards dans divers apprentissages s’accumulent et expliquent en partie pourquoi un adulte se relève plus ou moins facilement d’une épreuve.
Des parents… et un village
Si, comme moi, vous êtes parents, il est possible que vous ressentiez une pression en lisant ces lignes : moi et mon enfant ne devons pas être stressés sinon, son développement sera hypothéqué et il ne pourra pas faire face aux épreuves de la vie ! Tout d’abord, pour entraver le développement d’un enfant, il faut plus qu’un simple stress normal et certains manquements sporadiques. Comme le dit Marc-Simon Drouin, professeur en psychologie (2021) : même les meilleurs parents ne répondent adéquatement aux besoins de l’enfant qu’une fois sur trois. Cependant, l’intention d’y répondre est (presque) toujours présente.
Cyrulnik (2021) insiste sur un autre point important : la responsabilité de créer un environnement sain pour un enfant ne peut pas reposer sur les seules épaules des mères et des pères. Afin de contribuer au bon développement d’un enfant, il faut soutenir les parents revendique le scientifique. Est-ce que la mère a un conjoint supportant ? Est-ce que la famille aide ? Comment la société les soutient-elle ? En aidant les mères et les pères, soutien Cyrulnik, la société crée une génération de demain plus saine. Comme le dit le proverbe africain, il faut tout un village pour élever un enfant.
En somme, chers parents, si vous ressentez des difficultés dans la création de cette niche sensorielle pour votre enfant, n’hésitez pas à aller chercher du soutien. C’est normal. Des ressources gratuites se trouvent au bas de cet article.
Bouillonnement synaptique et réversibilité
Même si le développement d’un enfant a été entravé, la très grande majorité des retards sont réversibles. Depuis le ventre de la mère et pendant les premières années de vie, les enfants présentent une grande faculté d’adaptation. Leur cerveau est dans un bouillonnement synaptique : il crée environ 300 000 synapses par seconde. Une synapse est un lien entre deux neurones. C’est par la création des synapses que notre cerveau s’adapte, apprend et se transforme.
Durant cette période de bouillonnement, les enfants s’adaptent plus facilement et les retards sont réversibles. En ajustant son environnement, un enfant peut rattraper son retard très rapidement. Même si un enfant a vécu dans un environnement négligent pendant 3 ans, il peut rattraper son retard en quelques mois s’il est dans une niche adéquate (Cyrulnik, 2021).
Les adultes
Même s’il est préférable d’agir dans la petite enfance, il est toujours bénéfique de soutenir le développement du cerveau. L’histoire humaine ne s’arrête pas à 25 ans (âge de la maturité du cerveau). Cyrulnik (2021) rapporte qu’il est même possible de créer des synapses chez les personnes atteintes d’Alzheimer lorsqu’on les stimule. La niche sensorielle de l’adulte doit favoriser la résilience.
Niche adulte
Reprenons notre exemple des deux personnes ayant perdu un être cher pour voir comment leurs niches sensorielles diffèrent. La première personne, celle qui reprend goût à la vie, a peut-être un réseau social lui permettant de se confier et de se distraire. Ayant de bonnes assurances par le biais de son employeur, elle bénéficie d’une aide professionnelle. La seconde occupe peut-être un emploi précaire. Inscrite sur une liste d’attente, elle espère rencontrer un(e) psychologue dans six mois. Elle vient de déménager et n’a pas eu le temps de créer un nouveau réseau de soutien. Il est évident que la niche de la première personne favorise la résilience.
Cependant, il est aussi possible que la seconde personne ait les mêmes ressources que la première (assurances, réseau soutenant), mais n’ait pas les capacités d’en prendre avantage. Peu importe l’abondance des ressources, si la personne n’a pas appris à les voir et à les utiliser, elle n’en bénéficiera pas.
Les ingrédients de la résilience : soutien et sens
Selon Cyrulnik (2021), la niche d’une personne doit comporter deux éléments pour favoriser le développement et la résilience : le soutien et le sens. Le soutien provient de la connexion à un autre qui est bienveillant. Pour nous développer, nous avons besoin des autres. Le cerveau d’une personne isolée fonctionne différemment : il interprète tout avec une saveur de malheur. Lors d’une épreuve difficile, il est donc important de s’entourer de personnes bienveillantes. Des ami(e)s, de la famille ou même un animal de compagnie peuvent favoriser le bon fonctionnement du cerveau.
Le second ingrédient de la résilience est le sens, c’est-à-dire notre compréhension de la situation, l’histoire qu’on se raconte. Le sens est le moyen par lequel nous, les humains, pouvons transformer nos mémoires. Dans un cerveau sain qui évolue, les souvenirs se transforment. Si nous racontons un événement à 20 ans, 40 ou 60 ans, l’histoire sera différente, et pourtant, nous ne mentirons pas. La signification de l’événement aura simplement évolué. Nous ne parlons pas ici de substituer une histoire d’enfance heureuse à une réalité de négligence. Il s’agit plutôt de permettre une prise de perspective pour percevoir autrement ce qui s’est passé, ne serait-ce que parce que le temps a passé, que nous sommes plus vieux, que nous sommes maintenant loin du danger qui était jadis présent. En racontant, en écrivant, en dessinant, peu importe, le médium, une personne peut réactiver ce processus de transformation de la mémoire.
Une mise en garde ici s’impose. Certains souvenirs sont si douloureux, qu’il est préférable d’être accompagné(e) par un(e) professionnel(le) pour les revisiter.
Selon Cyrulnik (2021), la thérapie est un des moyens de nourrir les besoins de soutien et de sens. Elle offre un espace chaleureux et sécuritaire où la personne peut, à son rythme, revisiter certaines mémoires et construire de nouvelles significations.
Ressources pour les parents
https://premiereressource.com/fr
https://www.inspq.qc.ca/mieux-vivre/informations-utiles/ressources-pour-les-parents
Références
Cyrulnik, B. (2021). Trauma et résilience [Webinaire]
Drouin, M.-S. (hiver 2021). PSY 7169 Intervention en humanisme [notes de cours]. Département de psychologie, Université du Québec à Montréal.
Jaeglé, Y. (2019). Boris Cyrulnik de A à Z: 26 mots à méditer.