La fatigue compassionnelle dans les relations d’aide
Qu’est-ce que la fatigue compassionnelle ?
De nos jours, le phénomène du burnout (un épuisement physique, psychologique et mental qui arrive de façon progressive comme réaction au stress du travail) est de plus en plus connu. Dans un monde dans lequel les exigences sont de plus en plus élevées, notre sentiment de ne plus être en mesure de suivre le rythme frénétique et de répondre aux attentes des autres, est devenu quasi omniprésent. Les professionnels de la santé ou autres travailleurs qui sont dans les relations d’aide, ne sont pas immunisés contre ce risque de se “brûler” à la tâche.
Au contraire, en plus des conditions de travail difficiles et des demandes beaucoup trop exigeantes de la part des employeurs, les professionnels des relations d’aide s’exposent aussi à d’autres phénomènes comme le stress post-traumatique secondaire, le traumatisme vicaire ou la fatigue compassionnelle. En effet, l’exposition prolongée au traumatisme de quelqu’un (client) peut provoquer des changements dans l’estime de soi et la confiance en soi et en autrui (traumatisme vicaire) et des symptômes semblables au syndrome de PTSD (appelé alors stress post-traumatique secondaire). Mais même dans les cas dans lesquels on n’est pas exposé à un traumatisme, le contact constant avec la souffrance des autres peut avoir un coût émotionnel important pour le professionnel : la fatigue compassionnelle.
La fatigue compassionnelle peut se définir alors comme un épuisement physique, mental et émotionnel que vivent les personnes empathiques qui sont témoins de la souffrance des autres et qui l’absorbent. En effet, l’empathie joue un rôle central dans le développement de la fatigue compassionnelle, les professionnels ayant à utiliser leur empathie de façon continuelle sont à plus grand risque de la vivre.
Comment la comprendre et comment la prévenir ?
L’empathie se compose d’une motivation pour aider les gens dans le besoin, combinée avec une capacité de reconnaître la souffrance des autres et de l’expérimenter de façon vicaire: caractéristiques importantes chez les travailleurs dans les relations d’aide, dont leur réponse empathique vise à chercher la diminution de la souffrance de l’autre. Ceux-ci investissent alors une énergie émotionnelle de laquelle il reste toujours un résidu qui peut provoquer avec le temps, de la fatigue compassionnelle. Plus le professionnel est exposé à la souffrance des autres (clientèle extrêmement souffrante, enfants, horaires prolongés), plus le risque augmente. Si à cela on ajoute un vécu traumatique ou un vécu qui fait écho avec la souffrance du client, et/ou l’apparition de stresseurs dans leur vie personnelle, le risque devient encore plus important. Durant la pandémie, par exemple, plusieurs travailleurs de la santé ont vécu de la fatigue compassionnelle en raison de l’augmentation drastique de l’exposition à la souffrance mélangée du fait que eux-mêmes vivaient les angoisses, le stress et les difficultés liées au confinement et au changement drastique du style de vie.
Cependant, il faut tenir compte que, les personnes qui choisissent ce travail le font surtout par vocation, c’est-à-dire, elles ont un sentiment de réussite personnelle qui se déclenche des efforts réalisés pour aider les autres. De plus, avec l’expérience et une supervision adéquate, ces professionnels développent une capacité à se distancer des émotions et des pensées empathiques quand le client n’est pas devant eux. En effet, la satisfaction compassionnelle et le désengagement sont les principaux facteurs protecteurs contre la fatigue compassionnelle. Plus le professionnel est conscient de ses propres limites et responsabilités, plus il est protégé.
Jusqu’où aller trop loin ?
Même si on a la sensation de faire ce travail par vocation et qu’on ressent un besoin authentique d’aider les autres, souvent ce besoin peut cacher une nécessité de se valider et un besoin de se montrer comme un sauveur et de maintenir une relation qui encourage la dépendance du client. Le “besoin qu’on ait besoin de nous” encourage une dynamique dans laquelle le professionnel se place dans un endroit de savant, de tout puissant, de “parent” et dans laquelle il finit par assumer des charges émotionnelles qui ne lui appartiennent pas. Non seulement ces dynamiques enlèvent du pouvoir au client, mais elles augmentent significativement la possibilité de vivre de la frustration et de la déception quand la démarche ne semble pas donner de bons résultats. Une adéquate supervision devrait aider les professionnels à bien reconnaître son rôle, la motivation ultime de son besoin d’aide, les peurs et les limites de son implication émotionnelle.
Quelques signes qui indiquent que le professionnel vit de la fatigue compassionnelle sont : l’épuisement physique, des niveaux de stress très élevés, une tendance à s’isoler, de l’irritabilité, du désespoir, des sentiments d’isolement, de la confusion, de l’évitement de certaines pensées, sentiments ou situations, des trous de mémoire, des troubles de sommeil, de l’absentéisme, de la perte d’intérêt, de la difficulté à prendre des décisions, de la perte de l’estime de soi, l’apparition d’une attitude plutôt cynique et détachée, entre autres. En général, les symptômes de fatigue compassionnelle ressemblent à ceux du burnout, avec la différence qu’ils peuvent apparaître de façon abrupte. La fatigue compassionnelle n’est pas un trouble de santé mentale, mais, tout comme le burnout, il s’agit d’une condition qui peut évoluer en dépression majeure si elle n’est pas soignée à temps. Et ce, sans compter le danger du tort que le professionnel épuisé peut causer aux clients souffrants.